Ouverture de la session de printemps : le discours de Jacques Rit, Doyen de séance

Discours prononcé par Jacques Rit, Doyen de séance à l’occassion de l’ouverture de la session de printemps le 6 avril 2020

 » Monsieur le Ministre d’Etat, Madame et Messieurs les Conseillers Ministres, chers collègues présents dans l’hémicycle ou en téléconférence, chers compatriotes qui nous suivez sur vos écrans, cette première séance de la session législative de printemps 2020 s’ouvre dans une Principauté qui, comme la presque totalité des pays de la planète, a jeté toutes ses force dans la bataille qu’elle livre à l’épidémie virale due au Covid19. Mais avant de poursuivre, je me fais le porte-parole de tous les élus de notre Assemblée pour assurer notre Prince Souverain de la joie profonde qui est la notre de le savoir désormais à nouveau en bonne santé. Et nous sommes sincèrement  heureux Monsieur le Ministre d’Etat, que vous ayez pu être à nouveau parmi nous ce soir.

Il est peut-être surprenant de me voir remplir aujourd’hui la fonction de doyen d’âge de l’Assemblée, fonction qu’un Conseiller National n’est jamais particulièrement pressé d’occuper. Non, la raison n’en est pas ce que le langage populaire nommerait « un coup de vieux soudain ». Plus simplement, notre collègue Daniel Boeri, doyen d’âge en titre, et ses deux assesseurs chronologiques, sont absents ce soir en raison des mesures de confinement.

Même si des épidémiologistes avaient, depuis de nombreuses années, évoqué l’éventualité d’une pandémie virale accompagnée de conséquences d’échelle planétaire, la surprise fut totale, brutale, pour les chefs d’Etat comme pour chacun d’entre nous. Et cet effet de surprise a généré, pour un temps, une période d’incrédulité. Cette incrédulité s’est trouvée renforcée par l’éloignement géographique et les effets d’une communication fortement contrôlée par l’Etat dans le grand pays qui fut le premier touché. Au delà, la prise de conscience collective de l’ampleur de la menace a été plus lente et plus difficile, parce qu’il s’agit d’un ennemi totalement invisible, et dont on ne peut évaluer la dangerosité qu’a l’aune de ses effets. Nous retrouvons d’ailleurs la même incrédulité en matière de réchauffement climatique, à la différence prés que la progression fulgurante du Covid19 ne laisse que très peu de temps pour réfléchir. Dans tous les pays touchés, nous retrouvons, à quelques variantes près, d’origine culturelle ou politique, les mêmes errements et changements de cap, parfois difficiles à motiver, de la part des décisionnaires. Relayée en temps réel par les médias, amplifiée par les réseaux sociaux, la chorégraphie anarchique et de dimension planétaire de ces valses-hésitations a créé, à certains moments, une perte de crédibilité aboutissant à une véritable crise de confiance.

La tâche à laquelle les gouvernements se trouvent confrontés est immense, comme le sont les responsabilités qu’ils ont à assumer. Car, rappelons-le encore une fois, l’entité responsable de ce raz-de-marée d’effets désastreux est invisible, et ses spécificités encore très mal connues. Quant à ses conséquences, elles concernent certes au premier chef le secteur sanitaire, mais, tout autant, les domaines économique, social, politique… en un mot, tout ce qui touche à l’être humain et à ses conditions de vie.

La Principauté, avec l’apparition du premier cas de contamination fin février,  a connu, elle aussi, ces dernière semaines, cette période que nous venons d’évoquer il a quelques instants, avec son avalanche de problèmes complexes à gérer pour l’exécutif, avec les inquiétudes légitimes de la population monégasques, et l’angoissante annonce , coup sur coup, de l’atteinte du Ministre d’Etat, puis de celle de notre Prince Souverain.

Le Conseil National aurait donné l’image d’un bien piètre partenaire institutionnel, s’il était resté inerte et sans réaction devant l’adversité qui touche son pays. Le reflet de sa propre image lui serait devenu très vite insupportable. La période de tension qui a, un moment, été perceptible entre nos deux Institutions, je l’évoquerai ce soir d’autant plus volontiers qu’elle semble aujourd’hui en phase de résolution, le Prince Souverain ayant su, par un arbitrage éclairé, fédérer la pluralité d’expression du souhait d’unité nationale des deux partenaires institutionnels de son Pays. A ces souhaits d’unité, il ne manquait en effet qu’un substrat, la concertation, pour qu’ils puissent se transformer en un concept unique et devenir pour l’exécutif, un outil majeur dans le combat qu’il a engagée contre le Covid19, combat dont Monaco doit sortir vainqueur. L’Ordonnance Souveraine n°8.018, du 26 mars 2020, en instituant un comité mixte de suivi du Covid19, a créé ce substrat.

Mais permettez-moi de m’arrêter un instant sur la notion d’unité nationale, car, si elle est fondamentale pour permettre à une nation de sortir indemne, et même plus forte, d’un crise aussi exceptionnelle que celle que nous traversons, elle présente, dans un micro-Etat aussi spécifique que le notre, elle-même, ses propres spécificités.

En politique, si l’unité nationale reste au seul niveau des mots, elle apparaît comme relevant de l’incantation et du déni des réalités. Elle ne saurait se limiter à la posture, car elle n’a de sens que suivie d’actions. Et, de la part du Conseil National, les actions sont bien là :

Tout d’abord, notre Assemblée a démontré l’unité nationale en son sein, car c’est à l’unanimité des formations politiques qui la composent que, depuis le début de la crise du Covid19, elle s’applique à définir ses positions. Par ailleurs, conscient et respectueux des délimitations précises de son rôle institutionnel, et conformément à sa dénomination, le Conseil National entend jouer son rôle de conseil, en unissant sa force de proposition à la force d’action du Gouvernement, afin de combattre et maîtriser le plus efficacement possible le fléau qui menace notre Pays et ses habitants. Et cette force d’action de notre exécutif ne peut que s’enrichir des débats, fussent-ils contradictoires, qui accompagnent toute concertation d’essence démocratique. D’aucuns pourraient penser que, quand il y a unité, il n’y a pas de débat. Cela est vrai lorsque l’on considère les objectifs à atteindre, mais ça ne l’est plus lorsqu’on évoque les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir. Là, le débat indissociable de la concertation devient catalyseur.

Au média d’Etat qui, tout récemment, a qualifié improprement notre conviction « d’unité nationale de façade », j’apporterai, cette mise au point me semblant nécessaire, les éclaircissements suivants :

Pour notre Assemblée élue, l’unité nationale implique une concertation constructive en amont, avec son partenaire institutionnel, et exclut l’adoption d’une posture passive de suivisme gouvernemental.

Au concept souvent purement statique d’unité nationale, cette vision apporte une dimension dynamique dont notre Principauté, dans le contexte hautement évolutif de l’assaut auquel elle fait face, a fondamentalement besoin. En apprenant à plus se concerter, le Gouvernement et le Conseil National ont fait naître de remarquables projets, et le Plan national pour le logement des monégasques, lancé il y a un an par le Prince souverain, en est un grand exemple. C’était hier. Demain, c’est notre Pays tout entier que nous allons faire renaître, au sortir de la longue période de sommeil qui lui est aujourd’hui imposé par un confinement salvateur. N’en doutons pas, c’est dans la concertation entre nos deux institutions que Monaco, au repos mais toujours debout, efficacement aidé à son éveil, saura reprendre son envol vers la prospérité.

Devant l’absence d’immunité préexistante  des population face au Covid19, et aucun vaccin n’étant pour le moment disponible, un confinement rigoureux représentait une absolue nécessité pour éviter un taux de simultanéité des atteintes risquant de dépasser la capacité d’accueil, même optimisée et étendue à son maximum, de nos structures de soins.

Mais la réalisation de ce confinement a entrainé, de facto, une mise en hibernation d’une grande partie de l’économie monégasque. Et il nous faut tout prévoir pour que le réveil de cette économie puisse se faire, le moment venu, dans les meilleures conditions. Tant qu’il durera, et très probablement bien au delà, le confinement impliquera de la part de l’Etat un effort de soutien financier très important, totalement hors du commun. Son objectif est à la fois humain, social et économique. Les mesures annoncées ces derniers temps par le Gouvernement permettent d’en mesurer l’ampleur. Et la résolution, votée lors de la récente séance publique extraordinaire par le Conseil National, représente un catalogue de ses souhaits, et constitue une matière propre à enrichir les réunions de concertation du comité mixte de suivi du Covid19.

Le Conseil National, dans son rôle de co-législateur, va aujourd’hui voter, en répondant au contexte d’urgence, deux textes de loi permettant la suspension des délais administratifs et l’aménagement de la continuité de l’activité administrative et judiciaire, et deux propositions de loi du Conseil National visant à renforcer la protection des salariés et des locataires de locaux commerciaux pendant cette crise. Et, dans peu de temps, il sera amené à débattre en séance publique et à voter un budget rectificatif anticipé en relation avec les dépenses exceptionnelles que nous venons d’évoquer.

La situation sanitaire, nous le savons, peut évoluer extrêmement vite. Et nous devons régler notre réactivité sur ce tempo. En matière sanitaire, certaines vérités d’aujourd’hui peuvent être contredites par celles de demain. Nous en vivons l’expérience en ce moment même, dans le pays voisin, au niveau des recommandations sur le port du masque, qui semble évoluer du caractère restrictif vers une généralisation. Et il en va de même pour la pratique des tests de dépistage.

Toute notre attention doit être apportée à ce que les combattants de première ligne disposent réellement, sur le terrain, de tout le matériel de protection et d’action qui leur est dû. J’évoque là, bien sûr, les soignants et les sapeurs pompiers, mais, aussi, les travailleurs sociaux, la sûreté publique, et, trop souvent oubliés, tous ceux qui permettent le fonctionnement de la chaîne de l’alimentation, tout comme ceux qui nettoient la ville pendant notre confinement. Qu’ils soient tous vivement remerciés pour leur sens civique et leur abnégation. Nous sommes conscients que, s’ils avaient été défaillants, c’est tout un système, vital pour le pays, qui aurait été remis en question.

Encore plus délicate à traiter sera, pour l’Etat,  la question de la décision de sortie du confinement. Et ce d’autant plus qu’elle se posera vraisemblablement dans un contexte de crise économique mondiale. Les décisions prises à ce sujet dans la région voisine seront, bien sûr, déterminantes en cette matière. Mais nous savons que si les conditions sanitaires n’étaient pas remplies, un redémarrage de l’épidémie serait probable, avec une nécessité de revenir aux mesures actuelles, et des conséquences économiques cette fois certainement bien plus difficiles à compenser. A ce propos, les expériences diverses des grandes villes américaines en matière de déconfinement, en 1920 lors de l’épidémie de grippe espagnole, constituent une intéressante source d’information.

C’est d’ailleurs tout le panorama international qui sera, de manière durable, modifié par et au décours de cette épreuve. Gageons que dans de nombreux pays, forte de l’expérience qu’elle aura vécue pendant cette période sans précédent, l’opinion publique demandera de la démondialisation et de la réindustrialisation. Ailleurs, ce sont peut-être les principes mêmes de la démocratie qui risquent d’être menacés.

D’une manière générale, attendons nous à voir vaciller des pans entiers de nos certitudes d’hier.

En guise de conclusion, je citerai le philosophe Michel DUPUIS, spécialiste en éthique biomédicale :

« En cela, l’épidémie a en commun avec la question du climat quelle nous rappelle que nous sommes tous dans le même bain et que nous ne nous en sortirons quensemble. Le désir de survie éveille ainsi une forme élémentaire de conscience citoyenne. »